Le navetteur est une personne qui se déplace quotidiennement par un moyen de transport en commun entre son domicile et son lieu de travail (Larousse). Belgicisme des années 1900, soit une particularité de la langue française parlée en Belgique, il faut attendre plus d’un siècle et les années 2010 pour que le néologisme traverse la frontière et fasse son apparition dans le français des Français.
Étymologiquement, navetteur puise ses origines auprès du mot navette (du latin navis, le navire) qui apparait au début du XIXe siècle en pleine révolution industrielle : la navette est une pièce mobile, centrale aux métiers à tisser, qui exerce des allers-retours pour passer le fil et réaliser le tissage. Des allers-retours qui donneront plus tard l’analogie de la navette comme un trajet qui assure une correspondance entre deux lieux précis, avant de devenir par métonymie un moyen de transport : prendre la navette.
Du côté de l’usage, le navetteur belge emprunte tous types de trajets, en particulier les trajets courts quand le navetteur français, lui, semble limiter l’usage des « navettes » aux trajets entre deux villes particulièrement éloignées géographiquement.
Une tendance qui fait le bonheur de la SNCF, mais aussi de nombreuses compagnies aériennes, puisque malgré l’annonce en 2021 d’inscrire dans la loi l’interdiction de tous les vols intérieurs dont les trajets possèdent une alternative de moins de 2h30 par le rail, il est toujours possible en France, d’être navetteur en avion !
Des trajets domestiques que le nouveau président de la RATP, Jean Castex, ne fera plus beaucoup en avion, vacciné de sa navette en jet privé pour aller voter en avril 2022 ! La preuve, il ne cesse depuis sa prise de fonction le 7 septembre dernier, de montrer l’exemple !
Arrête ton char de fonction !
« 2,8 millions de voitures de fonction » en service en France, « C’est monstrueux ! », selon Alain Krakovitch qui propose dans sa dernière sortie médiatique d’y remédier en inventant « le train de fonction ». Après avoir tiré sur les jets privés et s’être vu challengé par l’aéroplage, c’est désormais la voiture d’entreprise qui entre dans le viseur du directeur général de la SNCF.
Un coup de maître… en communication ! Car si vous vous imaginiez des trains semi-privatisés, entre salons bars et espaces de coworking… il n’en est rien ! La véritable « fonction » de ce nouveau train est éminemment politique avec l’objectif d’offrir aux entreprises niches et avantages fiscaux pour faire bénéficier leurs salariés de tarifs préférentiels sur le rail.
En attaquant ainsi frontalement la voiture de fonction, Alain Krakovitch vise bien là les subventions étatiques d’une mobilité pendulaireen déclin, celle de la voiture individuelle, pour lui substituer une mobilité du quotidien en devenir : le train collectif.
Une vieille lubie du côté de la SNCF qui challengeait déjà en 2000 les autoroutes avec son TGV, avant de s’attaquer directement à la voiture pour la promotion du Transilien en 2007 :
En marge de la présentation du tout nouveau TGV – 32% d’émission en moins de CO2, plus modulable, plus grand, moins énergivore et donc plus vertueux à tous les plans – la SNCF semble désormais capitaliser sur les enjeux écologiques pour accroitre ses parts de marchés vs tous les autres moyens de transports !
À l’aune d’une crise énergétique annoncée comme sans précédent, attention tout de même aux coupures de courant, la SNCF étant le premier consommateur d’électricité du pays avec 10% de la part industrielle, soit 1,6% de la consommation française dans son ensemble !
Une fonction qui perd… ou change !
Essor du télétravail, exode urbain, piétonisation des centres-villes… la voiture de fonction va-t-elle devenir aussi facultative que certaines réunions en présentiel ?
Alors que la moyenne d’âge d’achat d’un véhicule neuf augmente d’année en année pour s’établir à 55 ans en 2021, la voiture de fonction, achetée neuve en B2B, semble désormais vouée à devenir la première vie d’un marché de l’occasion en B2C qui explose de 8% (sur la même année) avec plus de 6 millions de véhicules vendus, soit 15% du total du parc roulant, un record !
Une tendance qui n’échappe évidemment pas aux constructeurs automobiles qui, pour ne pas se laisser déborder par les nouveaux acteurs de la mobilité de seconde main (Heycar, Autohero, Aramisauto ou encore La Centrale) investissent désormais à coup de millions sur le véhicule d’occasion et les services.
Internalisation du reconditionnement, développement de l’après-vente, leasing… le passage à la voiture électrique n’est que l’arbre qui cache la forêt de la restructuration profonde s’opérant actuellement dans le business modèle des constructeurs automobiles.
Le navettisme, alternative de l’autosolisme !
En juin dernier, nous vous présentions dans Le gros mot de la semaine : autosoliste, le tout premier baromètre Vinci consacré à l’étude et l’analyse de l’usage de la voiture seul. Le constat y était édifiant : sur les données de l’automne 2021, le volume d’autosolistes représentait 82,6% des usagers quotidiens de la route !
C’est donc avec stupéfaction que nous constations semaine dernière, à la publication du second baromètre basé sur les données du printemps 2022, une progression de 2,6 points du nombre d’autosolistes qui représentent désormais 85,2% des automobilistes ! En marge d’une inflation record de 30% sur les prix des carburants, il semblerait donc que la paix et la solitude des trajets domicile-travail soient privilégiés au pouvoir d’achat des ménages…
Pourtant, convertir en un tour de main 1 autosoliste sur 10 en navetteur, c’est possible ! En testant du 1er juin au 1er septembre 2022 un prix unique de 9€ pour tout billets de train, l’Allemagne a transféré 10% de sa mobilité calendaire de la route vers le rail !
Avec 2,5 milliards d’euros injectés pour l’expérience, soit l’équivalent des 2,6 milliards d’euros investis sur la même période par l’État Français pour sa « remise carburant », le gouvernement allemand a économisé en 3 mois 1,8 millions de tonnes de CO2, réduit l’inflation de 2 points, et convertit 1 nouvel usager sur 5 aux joies du rail !
Un véritable succès pour une mesure vertueuse en de nombreux points, et tout particulièrement celui d’avoir pu offrir des vacances de prestige à une frange de la population inattendue sur le sujet…
Bibliographie
- Les « navetteurs », un nouveau marché pour la SNCF, LesEchos, 31 mars 2022
- Domicile-travail : des navetteurs plus nombreux et plus éloignés de leur lieu de travail, Insee, 2016
- Loi Climat : où est passée l’interdiction des vols intérieurs ?, Reporterre, 9 septembre 2022
- Mobilité professionnelle : les navetteurs profitent du nouvel effet TGV, Le Parisien, 29 novembre 2021
- L’aménagement du territoire, Aurélien Béllanger, 2016
- La SNCF veut inventer « le train de fonction », Le Monde, 14 septembre 2022
- En un an, la SNCF consomme la production électrique d’une centrale nucléaire, Le Parisien, 18 avril 2022
- La Révolte des Premiers de la classe, Jean-Laurent Cassely, 2022
- La France sous nos yeux, Jérôme Fourquet, Jean-Laurent Cassely, 2021
- Voiture d’occasion : les chiffres clés de 2021, Villa Automobiles, 3 mars 2022
- Baromètre de l’autosolisme : les Français de plus en plus seuls dans leur voiture, Vinci, 20 septembre 2922
- Transports à prix serrés : l’Allemagne prépare une suite au billet à 9 euros, LesEchos, 31 août 2022
- Aubaine. Allemagne: avec le train à 9 euros, les punks plongent dans la jet-set, Libération, 8 juin 2022