GP Explorer : la course automobile 100% youtubeurs et streamers  

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Le contexte 

Tout a commencé officiellement le 5 avril 2021 quand Squeezie (le premier créateur digital francophone sur YouTube cumulant plus de 17,4 millions d’abonnés) a annoncé en direct sur Twitch la création du « Grand Prix Explorer », la première compétition automobile opposant des créateurs de contenus issus de Youtube, Twitch ou encore Instagram. 

Les 22 participants (parmi lesquels Amixem 7,8 millions d’abonnés et son acolyte Etienne Moustache ou encore Sofyan, 1,9 million d’abonnés) répartis en onze équipes ont eu six mois pour se préparer avant le jour J. Entre tests de réflexes, tests cognitifs et exercices pratiques, ils ont tout appris ou presque lors des cinq week-end d’entraînement encadrés par les professionnels de la FFSA Academy qui forment mécaniciens et pilotes. Plusieurs ont raconté et documenté ces mois de préparation sur leurs chaînes YouTube. 

Certains participants sont passionnés de karting mais la plupart sont amateurs et plusieurs reconnaissent même ne pas avoir le permis B aux premières semaines d’entraînement. C’est pourquoi les organisateurs ont choisi la catégorie de compétition automobile F4 de type monoplace adaptée aux jeunes pilotes de course aspirant professionnels. 

L’évènement 

Devant 40 000 spectateurs, 22 créateurs de contenus se sont affrontés samedi 8 octobre 2022. Ce sont Sylvain Vilebrequin, Depielo et Etienne Moustache qui se sont hissés sur les trois premières marches du podium après cinq tours de piste. 

La journée a été émaillée par des concerts des artistes français Bigflo & Oli, Myd et Bianca Costa. L’événement a aussi été diffusé en direct sur Twitch entre 8 et 19h. Lors de la course, la barre symbolique du million de spectateurs a été franchie, une première en France. Le streamer ZeratoR va même jusqu’à parler de « jour historique pour Twitch ».

Dépoussiérer une discipline mythique mais critiquée 

Bilan carbone élevé, image vieillissante, événements, les sports mécaniques font régulièrement l’objet de critiques et peinent parfois à attirer le jeune public. Les 24h du Mans et l’Automobile club de l’Ouest, co-organisateurs du GP Explorer, espéraient aussi séduire de nouveaux futurs pilotes. 

En mars 2019, la série documentaire « Formule 1 : Pilotes de leur destin » co-réalisée par Netflix et la Formula One Management (chargée de la diffusion et promotion de la F1) avait aussi convaincu massivement, de quoi s’interroger sur l’avenir des sports motorisés à qui l’on promet souvent une fin certaine et proche. 

Un coût non négligeable 

Selon Squeezie, le GP Explorer coûte entre 3 et 5 millions d’euros. 1,8 million d’euros sont destinés aux participants. Le reste des coûts se répartit dans les équipes qui organisent et couvrent l’évènement, une bonne partie est aussi consacrée à AMP Visual TV, l’entreprise qui s’est chargée de retransmettre l’évènement en ligne. Les autres coûts concernant les voitures, les mécaniciens, la location du circuit, les assurances et la logistique. 

Bien évidemment ces sommes ne proviennent pas seulement des deniers de Squeezie. Les sponsors (Alpine, Displate, Osacaro, PUBG Mobile, NordVPN, Rhinoshield, iGraal, Call of Duty, Fruitz, TCL) ont fortement participé au financement de ce projet de grande ampleur. La vente de billets pour assister à l’évènement a permis également de contribuer aux financements. 

Analyse

L’évènement prend la 5ème place des évènements les plus suivis sur Twitch dans le monde. Une prouesse à peine croyable dans la mesure où la plateforme d’Amazon fait habituellement la part belle à l’univers du gaming. Le lendemain de la course, le replay de la course a même atteint la barre des 12,4 millions de visionnages. 

D’ailleurs, les évènements les plus suivis dans le monde sont principalement des tournois e-sport mettant en scène les meilleures équipes du monde. Le jeu CS:GO y est très représenté. Avec cette place de numéro cinq, Squeezie réalise donc une vraie performance. 

Le GP Explorer nous montre, s’il en est encore besoin, le lien fort existant entre l’influenceur et sa communauté. Beaucoup de spectateurs interrogés sur place ont affirmé qu’ils étaient là avant tout pour voir leurs créateurs de contenus préférés. 

Un nouveau souffle pour le sport automobile ? 

Il est déjà impressionnant de constater qu’une agence d’influenceurs, néophyte dans le monde du sport auto ait réussi à convaincre la FFSA et l’ACO de leur faire confiance pour un événement de cette ampleur.  

En définitive, le GP Explorer est non seulement une réussite côté organisation, mais c’est aussi un formidable vecteur de communication pour le sport automobile, qui touche ainsi un public totalement différent de son noyau dur habituel.  

Entre des places à prix pas très élevé pour ce genre de spectacle (42 euros au plus cher, soit le prix moyen d’une place de concert dans un Zénith), une expérience vraiment complète pour les spectateurs et une course prise au sérieux de bout en bout, le GP Explorer a de quoi donner des idées aux annonceurs. Et s’il n’y avait que deux constructeurs automobiles présents cette année, gageons qu’ils seront plus nombreux à vouloir sauter sur l’occasion pour les prochaines éditions prévues.  

Cette compétition, qui s’inscrit tout d’abord sous le signe du divertissement, ne constitue plus seulement un défi sportif suivi à un moment donné par des spectateurs et des audiences. Il s’agit désormais d’un véritable programme de contenus proposé avant et pendant. Et ce, avec la mise en place d’un live commenté par Kammeto et CODJordan, puis sur différentes plateformes social media. Notons également que les contenus ont été réalisés par les différentes personnalités invitées donnant accès à des anecdotes personnelles ou encore des Behind the scene… 

Les gamers, grands coureurs du futur ? 

Le Grand Prix Explorer de ce week-end nous le prouve : les simulations ont atteint un tel niveau de réalisme que les prochains pilotes de F1 seront probablement des gamers… À tel point que ces gamers organisent d’ores et déjà des évènements dédiés. Comme l’a dit Squeezie lui-même, qui espère qu’à long terme, cela devienne « un incubateur de vrais pilotes qui eux iraient vraiment faire une saison en F4 ». 

La fin de la TV ? 

D’aucuns ont, d’ores et déjà, annoncé que cet évènement annonçait la fin de la TV en tant que média d’information, tant il est vrai que cet événement montre bien l’importance des diffusions sur Internet aujourd’hui, et notamment sur la plateforme Twitch. 

Pour autant, cela ne témoigne pas de la fin de la télévision. A titre de comparaison, le lancement de la deuxième saison de la série HPI diffusée en prime time sur TF1 observe un pic à 9,76 millions de téléspectateurs. Au 2 septembre, le 20 heures de France 2 avec Laurent Delahousse cumulait 4.76 millions de téléspectateurs, le 20 heures de TF1 avec Anne-Claire Coudray, 4.44 millions, et le 19.45 de M6 avec Nathalie Renoux, 2.34 millions. 

Reste que cette audience TV concerne avant tout les générations plus âgées alors que Twitch et consoeurs sont particulièrement appréciées des jeunes générations. 

Pas sûr, donc, que l’on assiste à un phénomène de cannibalisation d’un média par un autre. Il y a plutôt une complémentarité entre différents médias, même s’il est clair qu’on observe une plus nette segmentation des usages selon les générations. 

Deux bémols : 

Actuellement, nous n’avons pas vraiment de données mesurant l’impact environnemental du GP Explorer, mais il est clair que l’événement ne sera pas sans conséquences, surtout si on prend en compte la pollution générée par la course en elle-même, le livestream (plus de 10 heures de diffusion en direct) les préparatifs et la venue des spectateurs. Pour une génération qui prétend lutter contre le réchauffement climatique, on constate qu’il est toujours difficile de passer de la parole aux actes ! 

Cet évènement, pour novateur qu’il soit dans sa forme, reste néanmoins plutôt masculin, voire teinté d’un certain machisme. Pourquoi avoir choisi ce sport dont les aficionados se recrutent encore assez largement dans la gent masculine ? Parmi les 22 participants, on notera la très faible part des femmes (3 vs 19 hommes). On aurait aimé que le choix ce soit opéré sur un sport où la mixité est plus prégnante, voire où les femmes occupent le terrain avec de plus en plus de succès (comme le foot ou le rugby, par exemple). 

Mis à jour le 26 juillet 2023